Secrets

Tricher au poker, c’est un vice et c’est un art. Il faut une technique sans faille et une solide dose de sang-froid. Les secrets des tricheurs, peu de gens les connaissent, et personne, à ce jour, ne les avait dévoilés. Aujourd’hui Gérard Majax, manipulateur hors pair, à la notoriété internationale, sort une cassette vidéo totalement révolutionnaire qui va faire tilt dans le monde des flambeurs… et de ceux qui ont charge de veiller à la sécurité des jeux : il dévoile les principales techniques de tricherie et les gadgets des arnaqueurs. Regardez bien sa cassette et rappelez-vous : de tout temps le monde du cinéma a été fasciné par le monde des jeux…

V7— Gérard Majax, vous êtes un expert dans la manipulation des cartes. Or, vous dévoilez vos trucs dans une cassette sur les tricheries. Pourquoi?

G.M. — Il ne s’agit pas de manipulations d’illusionnisme permettant des tours de cartes, mais de mouvements caractéristiques des tricheries. La plupart des prestidigitateurs ne les pratiquent pas et, en revanche, les tricheurs qui les utilisent ne peuvent pas, eux, s’en servir pour présenter un tour de cartes. Ce sont deux domaines différents.

V7. — N’avez-vous pas peur d’inciter les joueurs à tricher grâce à votre cassette ?

G.M. — Ce n’est pas un cours détaillé, mais un exposé des tricheries. C’est destiné à permettre à un joueur de repérer des mouvements malhonnêtes ou l’utilisation d’un gadget secret. Mais pratiquer ces manipulations demanderait quinze ou vingt ans de travail.

V7— Oui, mais certaines astuces simples semblent très accessibles…

G.M. — C’est le dilemme. Quand vous voulez protéger les joueurs, vous risquer d’inciter un voleur à utiliser ces tricheries, mais il serait fou car tout le monde peut avoir accès à cette cassette et peut donc le confondre.

V7— Sans trop entrer dans le détail, que dévoilez-vous exactement?

G.M. — Toutes les façons de mélanger les cartes sans en changer l’ordre ou, au contraire, pour les classer dans un ordre qui vous permettra d’obtenir les bonnes cartes lors de la donne. La manière de distribuer la 2e carte à la place de la 1ere. La façon de rétablir la coupe. Le moyen d’empalmer une ou plusieurs cartes. La façon de marquer le dos des cartes. La manière d’utiliser différents accessoires ultra secrets. Tout cela, sans que les autres joueurs puissent le déceler (sauf s’ils ont visionné cette cassette). Et aussi de nombreuses astuces psychologiques.

V7. — Peut-on donc à coup sûr repérer un tricheur?

G.M. — Non, car d’ingénieux tricheurs ont inventé leurs propres procédés, entièrement secrets. Mais cela ne concerne qu’une dizaine de grands professionnels internationaux, et les bases que je dévoile sont les plus utilisées. Mais si on se laisse prendre par l’ambiance, les détournements d’attention, employés par un tricheur ou ses complices, risquent fort de vous empêcher de repérer un mouvement ultra simple.

V7— Et vous-même, Gérard, jouez-vous souvent au poker?

G.M. — Jamais, parce que si je gagne, même sans tricher, les autres joueurs penseront tout de même que j’ai triché. Et si je perds, on me prendra vraiment pour un imbécile, alors… Aux dires des accros, des vrais flambeurs, ça commence toujours par un picotement au bout des doigts. C’est le moment magique où l’on retourne les cartes. Elles doivent rester en pile dans la main. Les unes sur les autres pour ne voir que la première. Puis, le doigt découvre peu à peu le coin de chacune des autres cartes. C’est le moment suprême que nous renvoie le sourire narquois de Paul Newman dans «L’arnaque». Selon que l’on constate qu’on a touché une paire ou un full, l’excitation du début se transforme doucement. Une poussée d’adrénaline envahit le corps. Surtout ne rien laisser voir avant de commencer à parler gros sous. Là, les choses prennent une autre tournure. Une fois qu’on a le niveau de son jeu, le reste n’est qu’un échange conventionnel, une lutte qui ressemble à l’esbroufe du gorille se tapant sur la poitrine. S’agit de faire croire aux autres qu’on est remonté à bloc… Ou pas si fort que cela pour les laisser venir. La phase hasard du jeu laisse place à une psychologie qui n’a rien à voir avec un marchandage aux Puces… L’affrontement devient réel par des regards, des mots sèchement prononcés, des tics, des sourires sous-entendus. Qui n’a pas eu une fois dans sa vie une pile de jetons devant lui, une espérance jetée à l’encan d’une distribution fortuite, ne comprendra jamais qu’une vraie partie de cartes se joue avec les tripes… Le jeu c’est le risque, une façon de jouer avec sa vie. Une composante éternelle de l’homme. Si l’argent, convention sociale, mène le monde, il ne pouvait qu’être d’entrée l’associé du jeu. L’appât du gain semble régir le jeu, il n’en est en fait que la part du risque. Le but n’est pas de gagner de l’argent… Mais de gagner au jeu, de gagner le jeu. Il devient alors un dénominateur commun qui se fout autant des classes que des éducations. Au jeu, les règles sont les mêmes pour tous, gommant toutes les différences sociales. Dans «Max et les ferrailleurs», Piccoli, qui passe pour un banquier (alors qu’il est en fait flic…), se retrouve avec ses amis pour un poker (jeu à la connotation populaire voir même légèrement crapuleuse). Et qu’il entame une longue partie de gin rummy avec la pute Romy Schneider, un jeu que l’on étiquette plus facilement comme faisant partie des distractions bourgeoises. Les règles assimilées foutent le camp autour du tapis… Faisant aussi table rase de sa différence sociale, Alberto Sordi, le Peppino de «L’argent de la vieille», n’hésite pas à s’attaquer à la richissime Américaine, comptant prendre sa revanche sociale à armes égales avec les malheurs de la vie. La fable sociale de Comencini ne pouvait avoir meilleur véhicule que le jeu. En acceptant de jouer «contre» la vieille, en fait il joue «avec». Les deux adversaires, que rien pourtant ne rapproche, deviennent en définitive deux complices. Chacun ayant besoin de l’autre pour exister. Pour Comencini, autour d’une table de jeu, c’est tout un microcosme social qui est recréé : les riches n’existent que parce qu’il y a les pauvres… Les pauvres ne vivent que parce que l’idée de richesse est une entité qui peut devenir accessible… Le jeu permet toutes les audaces tant il y rentre l’idée du hasard qui gomme les paramètres sociaux. S’il est loin d’être le jeu des rois, le poker reste le roi des jeux… Plus par sa connotation bouge et voyou que par ses règles. En effet, ce jeu de cartes qui doit autant au hasard qu’à son joueur, trimballe toute la mythologie de l’Ouest sauvage, des villes fantômes, des gains amassés et défendus à coups de Colt 45. En bref, il ne se conçoit pas d’autres jeux de Cincinnati à Reno que le roi poker. S’il a souvent servi au cinéma de cliché pour ancrer une ambiance, rares sont en définitive les films ayant le poker comme pilier maître du scénario. A cela on peut trouver différentes raisons, dont la plus évidente est que tout le monde n’en connaît pas les règles et coutumes, pourtant fort simples. Alors, les écrans charrient leur cohorte de joueurs attablés au saloon, buvant leur rye et clôturant d’injures et de coups de flingues une partie perdue. En cherchant un peu il doit bien avoir un western sur deux qui a sa partie au même titre que son «funeral parlor» et son barbier dans la rue principale. Un décor facile à planter, qui renforce par l’image le fait que le poker ne serait qu’un des multiples exemples de perdition de l’espèce au même titre que l’alcool et les putes… Un joueur est d’entrée donc quelqu’un d’asocial, suspect avant tout, comme l’est immédiatement Feathers pour John Chance dans «Rio Bravo». Elle, qu’il ne connaît absolument pas, est tout de suite coupable a ses yeux lorsqu’il apprend qu’elle est joueuse… Ça n’empêchera pas, deux bobines plus loin, que la femme percera sous la joueuse et que le rigide John Chance en tombera éperdument amoureux. Ce cancer social est aussi au centre du magnifique «Bob le flambeur» de Melville qui trace le portrait d’un être déchu, Bob, joueur invétéré, qui perd sa vie comme son argent par manque de besoins et d’envie. En voulant sauver Anne de la prostitution, cet être, en dehors de la société, retrouvera le goût de vivre, celui de faire des projets… mais il ne sait faire qu’une chose : jouer. Il préfèrera au projet de hold-up qu’on lui propose (la caisse d’un casino) se «faire» ce magot autour d’une table. Fin morale, le joueur gagnera effectivement le pactole avant d’être arrêté… Si le jeu n’est finalement pas condamnable en soi, c’est la passion qui semble animer le joueur qui fait se méfier autant les accros que leur entourage. Souvent comparé à une drogue, le jeu est en effet animé d’accoutumance. Ce que découvrira, à ses’ dépens, Alexei du «Joueur» de Dostoïevski. Porté à l’écran par Autant-Lara avec un extraordinaire Gérard Philipe, «Le joueur» nous entraîne à la suite d’un être vil et faible qui ne commence à jouer que dans l’espoir de ravir une fortune à une vieille tante à héritage. Comme la première seringue d’un drogué, le jeu, très vite, deviendra l’unique raison de vivre d’Alexei qui pourtant dès sa première partie gagnée avait atteint son but. Mise en garde simpliste, «Le joueur» illustre pourtant bien ce que les repentis, au travers de nombreux livres, essaient de faire partager. Et en fait, on s’aperçoit que l’on utilise autant pour le joueur que pour l’alcoolique et le drogué des termes identiques. Au même titre qu’un désintoxiqué est souvent dans les trois cas un candidat qui peut rapidement replonger. Dans «Gros coup à Dodge City», c’est le portrait de l’un d’eux que nous donne Henry Fonda. Joueur repenti, qui a décidé de s’amender, il a enfin pu réaliser quelques économies et part avec femme et enfant vers l’Ouest pour y acheter un ranch. De passage à Dodge City, où va se dérouler une grande compétition de poker, il se laissera tenter. Oubliant aussitôt, à la vue du tapis vert, ses bonnes résolutions. Ce ne sont pas les pleurs de sa femme qui y feront quelque chose. Il doit jouer et jouera. Jusqu’à la crise cardiaque! Pour sauver le magot familial en péril, sa femme n’aura de solution que de le remplacer à la table. Et elle gagnera… Jusqu’au dénouement qui nous apprendra qu’ils ne sont pas un paisible couple de fermiers, mais un couple d’escrocs qui, de ville en ville, monte à chaque fois le même scénario! Si dans «Gros coup à Dodge City» le réalisateur Fielder Cook décide de nous montrer l’envers du décor et monte son film à la manière d’un polar avec démonstration d’un mécanisme final, Rachel Weinberg, elle, retrouve la démarche d’un Autant-Lara dans «La flambeuse», le portrait d’un couple déchu par le jeu. Léa Massari, qui joue Louise, est une femme d’une quarantaine d’années s’ennuyant dans sa vie bourgeoise. Un mari qui la domine totalement et deux enfants qui lui minent son temps, la poussent un jour de spleen à rentrer dans un bistro. Elle y découvre l’ambiance sympathique de chômeurs perdant leurs journées en d’interminables parties de poker. Elle y vivra des émotions qu’elle n’aurait jamais pensé connaître, une nouvelle façon de flamber sa vie avec passion et excitation. Elle y perdra tout… Y compris son mari qui ne tardera pas à la rejoindre dans cette spirale infernale. En vain, on ne peut parler et surtout comprendre le jeu qu’en en ayant soi-même fait l’expérience. D’où l’incursion du jeu comme symbole et non comme entité dans le cinéma.

L'arnaqueurMême l’extraordinaire «Kid de Cincinnati» qui a pourtant comme personnage central le poker, ne sert qu’a mettre en place le portrait d’un héros déchu tant il est vrai que le poker aurait ici pu être remplacé par le billard (comme c’est le cas dans «L’arnaqueur» de Robert Rossen), la voiture («Ligne rouge 7000») ou tout autre élément faisant jouer le risque autant que le besoin profond d’être confronté au hasard et aux autres. Tenter de rentrer dans l’univers profond du poker comme le fait Robert Altman avec «Les flambeurs» ne donne qu’une image bien abstraite du jeu. Les finesses employées par Bill et Charlie pour parvenir à leurs fins n’ont comme avantage que de nous faire pénétrer comme spectateurs d’une table où il se déroule un jeu qui ne nous concerne pas. Au contraire de Norman Jewison qui, avec l’extraordinaire «Kid de Cincinnati», relègue au second plan le jeu pour nous brosser le portrait de deux hommes qui vont s’affronter. L’un, le Kid, pour se prouver qu’il est le meilleur, l’autre, Lancey, pour effacer le doute qu’il ne pourrait pas être le premier. Jewison nous trace le formidable portrait d’un antihéros, d’un looser, thème souvent utilisé dans le cinéma américain. Dans une Amérique qui se doit de toujours gagner, Jewison prouve au travers du jeu le plus populaire de son pays qu’a chaque gagnant, correspond toujours un perdant. Qui mieux que le poker pouvait véhiculer cette image? Dans un film curieusement tourné à l’aube de l’engagement américain au Vietnam… Mais avant tout, le jeu s’il est quelquefois montré sous son jour passionnel, permet aussi un bon nombre de variantes sur le thème de la tricherie. On ru compte plus, dans les westerns, les scènes où les règlements de comptes se font lorsqu’un des joueurs sort de sa manche la carte manquante du carré ou l’as miraculeux d’un flush tant attendu. Dans «L’arnaque» de George Roy Hill, c’est une partie de poker truquée qui appâtera Doyle Lonegan dans les rets d’Henry Gondorff. Doyle, joueur invétéré (le même terme que pour l’alcoolique!) sent bien qu’il a été floué par la remarquable triche de Gondorff. Il n’aura de cesse que de se venger. Pour cela : être le plus fort au jeu, sur le propre terrain de Gondorff : les courses… Quand deux joueurs s’affrontent, tous les coups semblent permis. Voire, car plus que partout ailleurs, il existe au jeu un code de déontologie où le mot honneur a cours. Comme pour ce pauvre professeur de littérature Axel Freed dans «Le flambeur» de Karel Reiz, qui n’hésitera pas à forcer la main de sa mère, à escroquer son grand-père pour rembourser une dette de 44 000 dollars contractée autour d’une table. Dans le cas d’Axel, la dette laisse place au jeu lui-même. Et comment rembourser une dette, sinon en jouant toujours plus? Et en trichant pour être sûr de soi. Cette dette de jeu, pour tout joueur est sacrée. Autant que le jeu. Un tricheur n’est plus un joueur, car le propre du jeu est avant tout de se conformer aux règles (du jeu…) et qui les enfreint, refuse en premier le système même qui fait du jeu tout l’attrait. Souvent symbole de fourberie à l’écran, la tricherie est employée comme degré ultime. Jouer est mal, tricher en jouant ne peut qu’être plus bas…

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