Jamie Lee Curtis.

"Very Good Girls" Premiere - Red Carpet - 2013 Sundance Film FestivalLa scène se déroule au «Spago», un restaurant chic et branché de Los Angeles. Imaginons que, sur l’insistance de son rédacteur en chef, un journaliste y convie Jamie Lee Curtis et Jennifer Beals pour un déjeuner avec «juste quelques petites questions à la fin, vous savez, c’est pour un papier qui vous est consacré» (le journaliste dixit). Pourquoi Jamie Lee et Jennifer ? Tout simplement parce que le susdit rédacteur en chef craque pour elles. Et aussi parce que le reporter en question, fondamentalement paresseux, sauterait illico sur l’occasion de faire d’une pierre deux coups et un article. Pourquoi le «Spago» à Los Angeles ? Par décision conjointement prise par les agents respectifs des deux comédiennes. Non contents de harceler littéralement notre valeureux scribouillard avec des exigences du genre «Je veux la couverture pour ma cliente», les deux imprésarios demandent que l’entrevue ait lieu dans cet endroit chic près de Sunset Boulevard (par conséquent hors d’atteinte des missiles libyens) et fréquenté par le gratin hollywoodien. Jamie Lee Curtis arrive la première au rendez-vous. Toute de jean vêtue, elle salue d’abord Wolfgang Puck, le maître des lieux. Une hôtesse la conduit ensuite à la table où l’attend le journaliste. «Hi (prononcerhay), vous attendez depuis longtemps ?» demande-t-elle l’air détaché. Puis, sans attendre la réponse, elle s’empare du menu qu’elle parcourt à mi-voix et les yeux brillants. «Alors, que voulez-vous savoir au juste, demande-t-elle sans quitter son menu du regard. Vous avez peut-être envie que je vous raconte l’enfance dorée de la pauvre Jamie Lee, malheureusement enfant de Tony Curtis et de Janet Leigh ? Ou alors, je pourrais vous parler de ma non-romance avec John Travolta sur le tournage de «Perfect», lance-t-elle d’une traite, un soupçon de moquerie dans la voix. Le journaliste lui répond qu’il ne fait pas partie du National Enquirer (Le journal à scandales US) et que, pour un article à sensation, il se serait directement adressé à Pia Zadora ou ZsaZsa Gabor. Rassurée, Jamie Lee offre son plus beau sourire et son meilleur profil (celui de gauche) au reporter qui n’en demandait pas tant. Le film «Perfect» venant d’être évoqué, la comédienne ne se fait pas prier pour clamer son plaisir à l’avoir tourné : «Pour obtenir le rôle de Jessie, cette ex-nageuse olympique reconvertie dans l’aérobic, j’y suis allée en persuadant les producteurs que j’étais la meilleure pour incarner le personnage. Je connais bien le milieu du cinéma ; je me suis présentée comme une actrice et aussi comme une habituée de l’aérobic qui connaît cette discipline à fond. D’ailleurs, la forme physique est un sujet qui m’a toujours très intéressée. J’ai toujours pris des cours d’aérobic et il m’est même arrivé de souhaiter en donner». Cette tirade ne manque pas d’étonner le journaliste, non pas par son contenu, mais plutôt par le fait qu’elle ressemble mot pour mot à une déclaration de la même Jamie Lee parue dans le dossier de presse de «Perfect». Un brin perplexe, notre homme lui demande s’il ne faut pas voir dans sa solide composition de «Perfect» un virage déjà amorcé dans «Love letters» et, à un moindre degré, dans «Un fauteuil pour deux». «Oui, je reviens de loin… et pourtant j’avais de qui tenir, poursuit-elle sur sa lancée. Ma mère se faisait poignarder à mort sous sa douche dans «Psychose» et mon père tuait je ne sais plus combien de femmes dans «L’étrangleur de Boston» ! Avec une aussi lourde hérédité, je ne pouvais faire mes débuts autrement que dans un film d’horreur… Agressée par un malade mental dans «La nuit des masques», j’ai été pourchassée par des fantômes hurlants dans «Fog». Mais c’est après «Le monstre du train » et «Halloween Il» que j’ai eu définitivement mes galons de screaming queen (La reine du hurlement)… Mes dialogues étaient reduits au minimum. C’est en hurlant que j’exprimais la terreur, la douleur ou le désespoir. Mais je n’ai jamais caché que je le faisais pour de l’argent ! Et plus tard, quand on m’a demandé de paraître nue dans un film, je l’ai fait pour changer…» A l’énoncé de ces augustes paroles, la perplexité du journaliste se transforme en stupéfaction. En effet, Jamie Lee ne fait que reprendre là un discours tenu, à la virgule près, à un hebdomadaire cinématographique qu’il avait compulsé en préparant son interview. Mais Jamie Lee ne lui laisse pas trop le temps de s’étonner puis qu’elle choisit ce moment pour commander une pizza au… saumon. «Je pense qu’il vaut mieux ne pas attendre Jennifer, décrète-t-elle. De toute façon, elle arrive en retard à tous ses rendez-vous… Enfin, c’est ce qu’on m’a dit». C’est ce moment que choisit la retardataire en question pour faire son apparition, les bras chargés de sacs portant l’enseigne de Tower Records, un disquaire situé juste en face du restaurant. «Je suis vraiment confuse, lâche-t-elle essoufflée, j’avais un tas de disques à acheter, je n’ai pas vu le temps passer…». «Oh, ne t’en fais pas, lui répond Jamie Lee, nous avons déjà commandé, nous pensions que tu ne viendrais jamais». Pris entre deux feux, le journaliste médite sur les particularités respectives de ses voisines. A sa droite, Jamie Lee, la seule actrice dont la naissance fut annoncée au monde -entier par une dépêche de l’Associated Press, le 22 novembre 1958, célébrité des parents oblige.Jennifer Beals A sa gauche, Jennifer Beals, qui, aux trompettes de la renommée (merci «Flash-dance» et «La promise») préfère poursuivre des études de littérature à Yale, l’université américaine où il est le plus difficile d’entrer. Une occupation des plus sérieuses comme l’a constaté l’équipe de «La promise» lors du tournage de certaines scènes à Venise. Les dates coïncidant avec la période d’examens à Yale, Jennifer emporta avec elle vingt livres volumineux, une machine à écrire et posta ses épreuves en express, entre deux prises de vues sur les gondoles. Mais cette anecdote exceptée, Jennifer ne semble pas conserver un souvenir éblouissant du film de Franc Roddam où elle incarne une créature conçue de toutes pièces par le baron Frankenstein. «Au départ, c’est tout le travail d’ambiguïté entre le baron et sa créature qui m’a séduite, le fait que mon personnage était une femme libre et indépendante. Mais ensuite, des scènes-clé, mettant l’accent sur le féminisme avant-gardiste de cette femme, ont été supprimées au montage et cela m’a assez déçue. De toute façon, mon avenir de comédienne ne repose certainement pas sur ce film, alors…» Alors, le journaliste Manque d’avaler de travers ses pâtes fraîches : voilà que Jennifer se met à citer intégralement la réponse qu’elle avait faite à une question posée par l’hebdomadaire People en septembre 85. Face au subit accès d’auto-citation dont semble souffrir Jamie Lee et Jennifer, le journaliste est amené à se poser quelques questions. Est-il l’involontaire protagoniste d’un épisode de « La cinquième dimension»? Les deux actrices ont-elles été programmées, à leur insu, par un attaché de presse démoniaque ? Autant d’interrogations qu’interrompt Jamie Lee qui, se tournant vers Jennifer, lui demande : «Quels disques as-tu achetés-tout à l’heure ?»Oh, rien de très spécial, des chansons qu’on entend sur la FM et d’autres bricoles du même genre», lui répond la «promise» de Frankenstein. N’écoutant que sa curiosité, Miss Curtis s’empare du sac en lançant un «Laisse-moi voir» qui ne souffre pas la contestation. Émergent alors « Hare Krishna greatest hits», «Best of Engelbert Humperdink» ainsi que « iaZadora chante Mozart, Verdi et Beethoven». Un silence gêné s’installe à table. «Le disquaire a dû te donner le mauvais sac » avance Jamie Lee, prompte à tirer sa collègue d’un embarras certain. «Puisqu’on parle de musique, enchaîne-t-elle aussitôt à l’intention de sa voisine, est-ce vrai qu’on t’a proposé de tourner la suite de «Flashdance», après l’immense succès de ce film ?»— «Oui, tout à fait, répond l’intéressée, et j’ai vite fait de refuser. Il ne fallait quand même pas trop tirer sur la corde. Lorsque ce film a commencé à casser la baraque au box-office, cela a pris de telles proportions que j’en étais désorienté, effrayée. Parfois, je me sentais même glisser vers la schizophrénie. Le personnage que j’incarnais à l’écran semblait plus réel que moi au public. Aujourd’hui encore, je suis incapable de me revoir dans ce film…» Le journaliste note que Jennifer ne fait aucune allusion au petit scandale monté en épingle par la presse lors de la sortie de «Flashdance» en 1983. Ulcérée de ne pas avoir été citée au générique, une jeune Française, Marine Jahan, révèle alors que c’est elle (et non Jennifer) qui bouge et lève la jambe lors des principaux et fameux morceaux dansés qui émaillent le film. Un détail dont le commun des spectateurs ne s’aperçoit pas a priori grâce à un habile montage qui alterne gros plans sur le visage de Jennifer et close-up sur les jambes douées de Marine. Pour l’instant, c’est bien l’insatiable Mademoiselle Beals, et non sa doublure, qui entame la dernière ligne droite de sa tarte au citron meringuée. La dernière bouchée avalée, elle fait état d’une séance photo à laquelle elle doit se rendre d’urgence. Les salutations d’usage échangées, elle quitte la table et se dirige vers la sortie. En emportant avec elle le sac à disques bien serré dans ses bras. Jamie Lee se penche alors vers le journaliste et lui demande s’il veut bien l’accompagner chez le disquaire, sitôt l’addition réglée. «Je me suis souvenue que j’avais, moi aussi, des disques à acheter». Une pause bien calculée, puis : «II me faut absolument les albums suivants : «Trini Lopez chante la Bamba», «The Osmond Brother greatest hits et le duo Divine/Pia Zadora». Face à l’air ébahi du journaliste, Jamie Lee s’empresse d’ajouter : «Ne faites donc pas cette tête là. Je ne les achèterai pas pour moi, mais pour Jennifer. Son anniversaire tombe la semaine prochaine. Et puis, elle a l’air de tellement aimer ce genre de musique…» Mauvaise copine, va !

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