Ante

René Chateau lance une nouvelle collection de cassettes à la vente : les années 50. Bardot devient une mode, Gabin démarre en Traction, Constantine se moque de l’US en jouant Lemmy Caution. Curieuse dérive entre le rose de la délivrance et le noir de la reconstitution.

 
Yves CiampiLes années 50 : après les années flippantes, les années clinquantes… La France se remet, bon an mal an, d’une occupation germanique et saccageuse en s’adonnant aux arts les plus divers, nettement influencés par une Amérique remuante et pulsative. Et c’est bien normal ! Le jazz envahit les caves jusqu’à les envaper, alors qu’avant c’était le gaz qui les enfumait, et les Marlboro et autres Stuyvesant sont sur les lèvres de beaucoup de fumeurs. Malgré les problèmes économiques liés à l’après-guerre et l’apparition de la guerre froide, les Français ne songent qu’à s’étourdir et à rêver. «Le cinoche du samedi soir» entretient, par son aspect rituel, leur soif d’évasion et leur volonté d’oublier. Les cinémas de quartier s’affublent volontiers d’appellations pompeuses telles que Palais des fêtes, Éden, Star, Trianon ou bien Palace. Juste avant les actualités Pathé ou Fox Movietone, les heureux spectateurs ont droit à un documentaire édifiant sur la pêche à la morue d’eau douce dans la vallée de la Loire ou la chasse au cerf gris en Sologne. Et puis chut, ça y est, c’est le GRAND film ! Alors, tassez-vous en boule dans votre meilleur fauteuil, les séances vont commencer… Lorsqu’un chirurgien réputé se dévoue entièrement à l’exercice de son art, il lui arrive fréquemment d’oublier ses enfants, sa famille et ses amis. Le cinéaste Yves Ciampi, ex-médecin, connaît son sujet sur le bout de ses gants fins et offre à Pierre Fresnay l’un de ses rôles les plus poignants, c’est le cas de l’écrire, dans «Un grand patron » qu’il réalise en 1951. L’année suivante, moisson fructueuse pour notre production nationale avec tout d’abord «La môme vert-de-gris», un polar noir adapté par le réalisateur Bernard Borde rie du roman homonyme de Peter Cheyney, titre numéro un de la mythique Série Noire. Ce film d’action lance le personnage de Lemmy Caution, agent du FBI rapide et violent, interprété tout en muscles par le chanteur Eddie Constantine.

Los Angeles

Né en 1917 à Los Angeles et établi en France depuis 1950, le crooner à la face burinée va incarner à huit reprises ce flic américain bagarreur, plein d’humour et grand amateur de jolies femmes. «Les femmes s’en balancent» (1954), «L’homme et l’enfant» (1956), «Ces dames préfèrent le mambo». (1958), «Lemmy pour ces dames» (1962) et «A toi de faire mignonne» (1963) font partie de cette veine comico-policière influencée par le polar américain. Le réalisateur René Clair a l’idée de son vingt-deuxième film, intitulé «Les belles de nuit», le 18 avril 1951 en remontant la 5e Avenue à New York. Cette histoire romanesque, où Gérard Philipe incarne un obscur professeur de musique qui se retrouve en rêve à l’époque 1900, nécessite neuf semaines de tournage et mobilisé deux plateaux aux studios cde Boulogne. Lors de sa sortie, en 1952, aux cinémas parisiens Madeleine et Biarritz, le film est un triomphe. La même année, Henri Verneuil réalise «Le fruit défendu», d’après Simenon, avec Fernandel et Françoise Arnoul. Ce drame de l’amour et du désir offre à Fernandel une composition d’une grande sensibilité. Françoise Arnoul, comme à son habitude, joue avec conviction les garces voluptueuses par qui le scandale arrive. On le constate, les acteurs sont privilégiés. Les cinéastes ne sont bien souvent que les maîtres d’œuvre, véritables artisans au service du scénario et des comédiens. Sacha Guitry en donne la parfaite illustration, en 1953, dans «Si Versailles m’était conté», puisqu’on dénombre quatre-vingt-trois acteurs. Toujours dans cette même veine historique, il réalisera « Napoléon» en 1955 et, l’année suivante, «Si Paris m’était conté». Guitry, homme de lettres et dramaturge, réputé pour ses réparties assassines, va réussir, en 1956, un pur joyau d’humour vachard, «La poison», qu’il dédie à Michel Simon.

 

Jean GabinCette histoire de meurtre aurait pu être sordide — Paul Braconnier ne peut plus supporter sa femme, vieille et pocharde qui, de son côté, achète de la mort-aux-rats pour le supprimer —, elle exprime en fait l’humour le plus noir, le plus désespéré. La fin est une merveille de cynisme. Le milieu des années 50 marque un net retour à la gravité. Fini les comédies frivoles dont l’unique but est de faire oublier les vicissitudes de la guerre. L’époque est à la réflexion, et les problèmes contemporains interpellent scénaristes et réalisateurs. En 1955; Henri Decoin fait scandale avec «Razzia sur la chnouf», interprété par Jean Gabin et Lino Ventura. Ce film, qui traite de front, pour la première fois en France, du problème aigu de la drogue, scandalise la critique — «il est des choses qu’on ne doit pas montrer», dit-elle en substance — et passionne le public par son aspect documentaire sur le comportement des intoxiqués. André Cayatte, ancien avocat et spécialiste des grandes causes, réalise, la même année, «Le dossier noir» et, en 1956, Gabin joue le rôle d’un restaurateur au grand coeur floué par une garce au visage d’ange (Danièle Delorme) dans «Voici le temps des assassins», l’un des meilleurs films de Julien Duvivier. Ce cinéaste, apôtre de la plus désespérante noirceur, donne ici un aperçu syncrétique de son style.

 

Jacques BeckerOn y retrouve son goût pour les lieux bien définis et les décors pittoresques alourdis par une atmosphère épaisse. Il privilégie les seconds rôles, qu’il utilise de façon piquante, et sa direction d’acteurs, très sûre, exacerbe jusqu’à le sublimer son infernal pessimisme. Gabin a rarement été meilleur. Comme Gérard Philipe, d’ailleurs, dans « Montparnasse 19», où il interprète avec beaucoup de sensibilité le rôle du peintre Modigliani. Au départ, c’est Max Ophuls qui devait réaliser le film, mais, déjà malade, il demande à Jacques Becker de le remplacer. Ce dernier modifie considérablement le scénario original écrit par Max Ophuls et Henri Jeanson. Malgré les pressions, dont celle de la propre fille du peintre, Becker tient bon et nous offre une vision très personnelle de la vie tumultueuse d Montparnasse au , de la grande guerre. Si «La lumière d’en face» (1956) et «La bride sur le cou» (1961) ne peuvent ravir que les inconditionnels de Brigitte Bardot, c’est dans «En cas de malheur», réalisé en 1958 par Claude Autant-Lara, que la star explose vraiment. Avant le tournage, Gabin, qui interprète un avocat épris passionnément d’une jeune et belle cliente, qualifiait BB de « chose qui se promène toute nue», revient sur ses positions pourtant réputées partiales .et parle de «vraie professionnelle». Leurs compositions relèvent du plus pur défi de comédien et on sent chez Bardot l’ardent désir d’«être à la hauteur» face au grand Gabin. « L’ours et la poupée» avant l’heure, en quelque sorte… Retrouvons Gabin la même année dans « Les misérables» réalisés par Jean-Paul Le Chanois. Cette version, après celle de Raymond Bernard, avec Harry Baur, en 1934, prend beaucoup de libertés avec le roman de Victor Hugo et s’attire les foudres des puristes. Bernard Blier campe un Javert impressionnant de dureté. Changement de décor. Les films sur la Résistance refont leur apparition avec «La chatte» (1958) d’Henri Decoin, qui conte l’histoire romancée d’une femme hors pair entrée dans un ré-seau pour venger son mari abattu par les Allemands.

 

Jean-Luc GodardCe film, dont la suite, « La chatte sort ses griffes», est tournée en 1960, inspire au jeune critique Jean-Luc Godard les mots suivants : «Autant les récents films de Decoin étaient déplaisants parce que mal décalqués de Hitchcock, autant dans « La chatte » l’imitation de Bresson se fait sentir». En 1959, Alain Delon et Bourvil sont réunis sur « Le chemin des écoliers» sous la houlette de Michel Boisrond. Ce film curieux rappelle étrangement « La traversée de Paris» avec ses magouilles de marché noir et l’attitude pittoresque des Français face à la Résistance. Mais l’optique visée par Boisrond est nettement moins cynique que» celle consentie par Autant-Lara. On rit beaucoup à cette adaptation d’un roman de Marcel Aymé Ynais on s’esclaffe davantage à «La jument verte» du même auteur. Cette histoire de « cheval qui parle» est parfaitement retranscrite à l’écran par Autant-Lara, mais la grivoiserie, aujourd’hui bien anodine, qui baigne le film lui vaut bien des démêlés avec la censure et une interdiction aux moins de dix-huit ans. Claude Autant-Lara continue sa carrière avec «Le comte de Monte-Cristo », en 1961, et, deux ans plus tard, Roger Vadim érotise Catherine Deneuve dans une libre adaptation du marquis de Sade, «Le vice et la vertu ». Mais ce cinéma qu’on dit d’antan garde encore maintenant toute sa verve, toute sa puissance et tout son orgueil. Loin des modes et des passions du moment, ces films continuent de nous surprendre par leur vigueur et leur toujours présente acuité. N’en déplaise à la bouillante et dissipée Nouvelle Vague… Mais c’est déjà une autre histoire.

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